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Alors que l’éducation par la nature connaît une belle effervescence au Québec, l’accès à des environnements naturels demeure inéquitable d’un milieu à l’autre. Heureusement, la naturalisation des aires de jeux permet de pallier ce problème, en permettant à un nombre grandissant d’enfants d’expérimenter les bienfaits de cette approche. Entrevue avec Rosalie Morin, fondatrice de Nalu Éducation et ambassadrice 100°.
Rosalie Morin est une fervente représentante du mouvement d’éducation par la nature au Québec. Enseignante de formation, titulaire d'une maîtrise en sciences de l’activité physique, spécialisée en aménagement de cours d’école traditionnelles et naturalisées (mixtes), elle a fondé sa propre entreprise, Nalu Éducation, afin d’accompagner les milieux éducatifs dans la création d’environnements de jeu naturels.
Rosalie Morin lors d'un panel 100° sur la pédagogie en plein air en octobre 2024.
Rosalie, comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la naturalisation des aires de jeux ?
Je dirais plutôt que c’est la naturalisation des aires de jeux qui est venue à moi ! C’était à l’origine un projet de recherche de maîtrise et, avec Nalu Éducation, c’est devenu un projet entrepreneurial, ou ce que l’on peut appeler de l'entrepreneuriat scientifique.
Après ma maîtrise, une personne qui travaillait dans une direction de santé publique m’a fait comprendre que mon expertise était pertinente et rare : je m’intéressais à la recherche, au développement de l’enfant, à l’activité physique, à l’éducation par la nature et à la naturalisation. J’ai donc fondé Nalu, qui est la combinaison des mots nature et ludique !
En quoi consiste la naturalisation des aires de jeux ?
Une cour naturalisée est une aire de jeux qui intègre des matériaux libres et une grande quantité d'éléments naturels, comme des arbres, arbustes, fleurs, plantes comestibles, etc.
Les matériaux libres sont des éléments de jeu sans mode d’emploi spécifique qui peuvent être combinés, transportés, transformés ou utilisés seuls, au gré des idées de l’enfant. Il peut s’agir de matériaux recyclés comme des bâches, des cordes, des contenants, des pneus, mais aussi des branches, des cocottes et des cailloux. Ils doivent être mobiles et polyvalents, donc avoir plusieurs usages possibles. On met ainsi à la disposition des enfants un espace qui crée un continuum des apprentissages réalisés en nature.
En somme, une cour naturalisée doit fournir des matériaux libres, permettre un contact direct avec la nature, comprendre des espaces qui soutiennent et stimulent les cinq sens, et offrir des défis.
Des cours naturalisées signées Nalu Éducation
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Quelles sont les principales différences entre une cour traditionnelle et une cour naturalisée ?
Les cours traditionnelles comportent de grandes surfaces asphaltées qui permettent les sports d’équipe, les jeux de haute intensité et les jeux collectifs. Cela peut répondre à certains besoins, surtout chez les enfants d’âge scolaire.
Mais certains enfants bénéficient davantage du jeu libre actif. Ils ont besoin de construire, de transporter des objets, de créer, de socialiser… Ils seront plus attirés par les matériaux libres et les jeux où ils peuvent être autonomes. La naturalisation permet donc de répondre à des besoins plus larges, dans une approche plus inclusive.
Aussi, les cours traditionnelles comportent souvent des modules de jeux, et l’on s’aperçoit que leur utilisation ne correspond pas toujours à leur vocation initiale. Selon la recherche, ils servent pour la plupart à des jeux sociaux ou à des jeux de basse intensité. Dès que les enfants atteignent les limites du module en matière de prise de risque, ils s’adonneront à des jeux plus risqués, comme monter par la glissade ou grimper sur des surfaces qui n’ont pas été conçues pour cela.
Les aires de jeux naturalisées intègrent directement la prise de risque dans leur conception, comme des arbres pour grimper, des espaces pour sauter, des buttes pour courir, du matériel pour se créer des cachettes, des espaces gazonnés pour la chamaillerie, ou encore des éléments naturels comme de l’eau ou du sable.
Y a-t-il des barrières ou des idées préconçues sur la naturalisation des cours extérieures, auxquelles il est facile de remédier ?
Souvent, la première chose que les gens vont me dire, c’est qu’ils ne veulent pas être seuls à le faire. Parfois, les établissements se disent d’emblée qu’ils n’auront pas les ressources humaines ou financières nécessaires à la planification et à la réalisation du projet. L’expertise, le temps et l’argent sont les trois freins les plus souvent cités. Pourtant, les ressources existent et les exemples de réussites sont de plus en plus nombreux.
L’établissement doit aussi avoir une prédisposition à la pédagogie par la nature. Les valeurs de cette approche doivent être ancrées dans ses politiques pour diminuer les freins possibles.
Il ne faut pas croire non plus qu’il est nécessaire de remplacer des installations et du matériel extérieur qui fonctionne bien. Pour commencer, l’inventaire de la cour actuelle doit se faire afin d’identifier les besoins qui ne sont pas comblés par les aménagements et le matériel en place. De là, on peut identifier des zones à naturaliser et, au besoin, segmenter le projet par phases.
Les bénéfices du jeu libre actif et de l’éducation par la nature sont nombreux et bien documentés. Quels seraient les principaux arguments à retenir pour une personne qui souhaite convaincre son milieu des bienfaits de ces approches ?
Les matériaux libres stimulent la créativité et l’imagination, en plus de soutenir le développement des compétences sociales, comme la résolution de conflits, la négociation et le travail d’équipe. Ce faisant, ils favorisent la communication et le développement du langage.
Les environnements naturels amènent une stimulation sensorielle qui est bénéfique au développement cognitif et émotionnel. On sait aussi que le contact avec la nature réduit le stress. Végétaliser la cour permet ainsi de maximiser les bénéfices. Évidemment, afin de passer un moment agréable et de prolonger le temps passé à l’extérieur, il est essentiel de s’équiper de bons vêtements.
Sur le plan moteur, on remarque que la naturalisation des aires de jeux encourage un plus grand nombre d'enfants à bouger de manière plus dynamique et en fonction de leurs intérêts et habiletés : grimper sur des rochers, marcher sur des troncs d’arbres, sauter d’une souche à l’autre, se créer leur propre poutre d’équilibre et jouer avec du matériel libre et polyvalent.
Les avenues sont vastes d’un point de vue pédagogique : observation des oiseaux, des insectes et de la végétation, projets artistiques ou environnementaux, etc.
Finalement, lorsqu’elle est bien planifiée, la naturalisation offre des espaces ombragés lors des journées chaudes, encourage le jeu libre et actif à l’extérieur, même sous la pluie, et permet de gérer efficacement l’eau de pluie pour prévenir les inondations, tout en offrant aux enfants la possibilité d’y jouer. Ces enjeux sont à considérer dès maintenant, car ils seront primordiaux pour le futur.